PORTRAIT

Vivre de sons, de couleurs. Avoir un royaume dans son regard. Etre ainsi fait que les autres doivent, pour te comprendre, non pas penser, mais songer (*). Cette pensée de Joë Bousquet, poète de l’immobile et de l’évasion à la fois, paralysé à l’âge de 21 ans à cause d’une balle allemande reçue en pleine colonne vertébrale en 1918, pourrait être la devise de Janoz, enfant de Bousquet, né à Carcassonne, bien des années plus tard. La plume pour l’un, la platine pour l’autre mais un vrai désir commun et viscéral de transcender le réel, de s’évader aux confins d’un surréalisme fait de poésie et d’amour.

En direct sur le net, filmé au sommet d’une tour de pierres à Lastours ou aux platines d’une scène house dans la chaleur d’un été, Janoz invite son public, au son de sa musique électro planante à un voyage intemporel et intérieur.

Mais le parallèle entre le Dj et le poète ne s’arrête pas là. Ce besoin d’imaginaire et d’émerveillement trouve aussi sa source dans un drame. A 11 ans, la vie de cet enfant du Viguier s’arrête, fauché en plein vol à cause d’un grave accident. Trauma crânien, perte d’équilibre et de la vue. Un an d’une vie en suspens entre lit d’hôpital, rééducation et doutes. Alité comme le pensionnaire du 53 rue de Verdun, Jean-Noël s’évade et scie ses barreaux imaginaires grâce à la musique. 1981, un vent de liberté souffle à travers les ondes FM. Les radios libres déversent sur la France de Mitterrand la musique US des Prince et autres Michael Jackson. Une ambiance funk et soul touche le jeune Carqueyrollais en plein cœur.

Poésie, amour de l’autre et émerveillement

Pour le petit convalescent à la vie corseté par tant d’interdits, les sorties avec son grand-père chez les disquaires de Carcassonne sont de vraies bouffées d’oxygène. Les sillons des vinyles sont autant de chemins vers la liberté. Le petit Jano pour les intimes vient d’entrer en musique comme d’autres entrent en religion. Sa vie sera mélodique, rythmée et spirituelle.De ruptures amoureuses en fêlures profondes, d’errements de jeunesse en coups de canifs sur l’écorce de l’amitié, mais aussi de rencontres chaleureuses en émotions généreuses, Janoz s’est forgé une philosophie. Et comme le grand frère spirituel Joë, le Carqueyrollais répète comme une devise : « Je dis merci à la vie ». L’artiste qu’il est devenu et le jeune ado qu’il était ont gardé en commun ce goût pour l’amour de l’autre, la poésie et l’émerveillement. Des racines profondes et de formidables moteurs qui poussent aujourd’hui le Dj à poursuivre le voyage et à dépasser les frontières de l’impossible dans sa vie d’artiste et dans ses compos.

Nouvel album, « Solarium »

Dans son appartement de la Bastide Saint-Louis, immeuble du XVIe siècle chargé d’histoire, Janoz aux platines et ordinateurs écrit la sienne. A commencer par son prochain album Solarium (**) qu’il veut « plus proche d’un album rock que techno dans la construction, mais pas dans les sonorités. Je pousse les recherches sur le son, la technique et je veux aller plus en profondeur dans les émotions. » Un album électro break beat et techno, vraie invitation aux rêves.Et de rêves aux raves, il n’y a qu’un pas qu’a franchi Janoz en 1991. C’est cette année-là qu’il découvre, dans un château de la banlieue de Toulouse, le monde des raves. Une révélation synonyme de liberté et d’évasion musicale et visuelle.Deux mois plus tard, le jeune homme organise la première d’une longue série de soirées avec l’ami Alain Andrieu. Du « Bar » de Titi Frileux en Bastide au « Bar à vins » de l’ami Philippe Calvet à la Cité, Janoz brûle la vie et les nuits caliente à 100 à l’heure. Les liens noués avec Fany Coral - qui créera Kill the Dj et programmera le Pulp - et réalisatrice de Radio Nova permettent de voir déferler à Carcassonne la house parisienne de Dj Deep à Erig Rug en passant par Dan Ghenacia et Laurent Garnier, que Janoz fera jouer au Festival de la Cité devant 5000 personnes.

Space Syndicat à Famille Électro

Mais Janoz, le Dj n’entre en scène qu’en 2001 grâce à sa collaboration avec Raph Dumas et Manuel Perez. Il enchaîne des dates à Perpignan et à Carcassonne bien sûr et une première compil deux ans plus tard, « Story house ». Dès ses débuts, se dessinent dans ses créations une techno soutenue, métallique et aérienne à la fois et une house music plus joyeuse et colorée.Et comme Janoz se nourrit de rencontres, il fondera Space Syndicat (Mme Gaultier, Pascal Rockstrob) puis la Famille Electro en 2006, qui favorisera l’émergence de talents.Depuis 2018 et la création de l’album Dans ma Cité, pour lequel Janoz s’était associé au peintre Méro, l’artiste multiplie les projets, boulimie créatrice qui laisse une grande place à l’image. Depuis deux ans, il marie ses samples planants à des lieux chargés d'histoire pour un choc des cultures et des époques. Après Peyrepertuse et le château Comtal en 2018, il prépare trois spectacles vertigineux pour l’été 2021, intitulés Vertigo, programmés au sommet de la tour de l'église Saint-Vincent, à Lastours et dans un château des Hautes-Corbières. Les sons électros se mêlent aux images prises sur le site et via des drônes. La danse avec Emma Cathala et le théâtre avec Jean-François Vassal et Valérie Michel s’invitent pour raconter une histoire et faire vibrer les pierres. « L'idée, dans l'esprit des surréalistes, est de désacraliser ces lieux chargés d'histoire. » Une évocation du surréalisme cher à Janoz, et qui a donné dès 2007, la première édition du Festival Surrealizm, autant d’expositions, de performances, de théâtre et de concerts qui valorisent l'œuvre de Joë Bousquet.« Le surréalisme est un puissant hallucinogène qui permet de s’évader psychologiquement et artistiquement. Toute ma vie, j’ai été approché par la mort, personnellement, dans ma famille et professionnellement. Les Surréalistes l’ont abordée de front et ont évoqué l’énigme de la mort en mettant en lumière des mondes parallèles. Et cela me touche. »

Ciné mix avec Cocteau

 

Janoz poursuit donc sa quête de spiritualité au travers de ces nombreux projets. Outre l’album et le spectacle Vertigo, il prépare une série de Cinés Mix, dont celui du Festival du film insolite de Rennes-le-château. Janoz a entièrement revu les musiques de trois films de Cocteau, « Sang d'un poète », « Orphée » et « La Belle et la Bête » à partir de morceaux électros, de musiques expérimentales mais aussi de classiques de Piaf, Brel ou de morceaux plus actuels avec du Daniel Darc. Une façon d’être en communion avec les Surréalistes et leur façon unique de rendre visible l’inconscient. Un moyen aussi de faire dialoguer un film et ses images d’un autre temps - les années 30 - avec une bande son. Janoz rêve aussi d’appliquer cette recette, un jour, au théâtre.Un travail de l’ombre, cher à Janoz ,qui nécessite des heures et des heures d’écoute pour trouver les bons morceaux pour la bonne scène. Mais des envies de lumière aussi qu’il partagera sur ce qui reste son adrénaline, les concerts et soirées. « Dans ce que je créé, il y a toujours conscience de ce que l’on a : savoure le moment, émerveille toi ! Côté musique, j’aime bien ce qui est mélodique dans mes sets car il faut que l’on puisse s’évader. » Des sets house et techno, selon le lieu et l’ambiance, pour partager toujours et encore, avec son public, ce même goût d’évasion.

(*) Citation extraite de Traduit du Silence 1941.

(**) Le premier album très autobiographique Dans Ma Cité date de 2018.